L’industrie halieutique au Cameroun est constituée d quelques champions nationaux. Il s’agit de Mave Cameroun (Cameroun) dont le président du conseil d’administration est notre invité. En dehors de lui, il y a d’autres acteurs à l’instar de Fish and Co, Aquarin, Mungo fish. Malgré leurs efforts pour donner sens au made in Cameroon au sujet de la production locale en poissons, ces investisseurs font face à l’ouverture excessive des frontières, ce qui permet l’entrée sur le territoire national des poissons produits localement. D’autres défis et non les moindres sont aussi évoqués. Des pistes de solution aussi.
Quelle stratégie nationale adoptée pour doper l’industrie halieutique au Cameroun ?
Pour donner plus de vigueur à l’industrie halieutique locale, il y a une batterie de nécessités à remplir car, ladite industrie est confrontée à plusieurs défis, avec en point majeur, le défi des intrants. Je veux parler des aliments et des alevins. Il y a des intrants bon marché qui peuvent permettre que l’industrie halieutique se développe. L’autre problème de cette industrie, c’est la vente, la distribution. Une fois que le stock est prêt, qu’est-ce qu’on fait de la production ? Nous avons vu des entreprises ici qui, après production, ne pouvaient pas vendre. Entretemps, le poisson continue à manger, le prix continue à augmenter. Maintenant, au moment de la vente, l’on brade car les distributeurs, parfois sont de mauvaise foi et en profitent du fait de votre besoin, de votre précarité pour venir acheter. Il y a des cas où, lorsqu’on calcule le coût de production, il est par exemple à 1700 FCFA et finalement les producteurs vendent à 1500 FCFA. C’est pour cela que très souvent, ça s’arrête-là, après la première, la deuxième vague de production, on arrête.
Alors découragement général, sinon comment tenir malgré la difficile conjoncture ?
Il faut produire un aliment de qualité. La spécificité des aliments de poisson, c’est que c’est des aliments flottants. Il faut des machines appropriées, spécifiques, des machines d’intrusion qui soufflent les aliments afin qu’ils deviennent flottants. Le poisson ne mange pas l’aliment coulant. Maintenant, pour monter une véritable usine dédiée à la production des aliments de poisson, il faut avoir la capacité d’atteindre le seuil de rentabilité qui est de 40.000 tonnes de production par an. Quand on voit les statistiques de consommation au Cameroun, aujourd’hui nous sommes pratiquement à 15.000 tonnes. Cela dit, nous n’avons pas encore atteint le seuil de rentabilité d’une usine dédiée à l’aliment de poisson. Il faut travailler là-dessus. Je suis convaincu qu’avec l’engouement que les gens manifestent sur le sujet, d’ici cinq ans, le poisson issu de la pisciculture locale se développera.
Reste les habitudes alimentaires, le marché est envahi par le poisson maritime…
Exact. C’est un sérieux problème. Il faut que les gens comprennent que le poisson issu de la pisciculture locale est plus biologique que le poisson que nous importons. Il faut le dire avec insistance, quand on mange un bon « ndomba » (un mets) de silure, ou un silure à la braise, ou un bouillon de silure, cela a un goût unique, rien à voir avec le mâchoiron ou le maquereau par rapport au silure à la braise. Les silures qui sortent des fermes de Mavecam sont fantastiques : pas de graisse.
Vous évoquez des difficultés d’écoulement sur le marché du fait des importations excessives. Faut-il réduire lesdites importations ?
Il y a même des importations de silures et du tilapia, qui sont des poissons qui, non seulement sont faciles à produire au Cameroun, mais sont produits localement. Il faut donc bannir ces importations. Il faut impérativement bannir ces importations comme cela a été fait avec les découpes de poulet, cela permettra de faire grandir notre industrie halieutique locale. C’est pour cela que Mavecam a pensé à construire des chambres froides, à construire un tunnel de congélation plus une machine à glace pour pouvoir, en cas de surproduction, congeler, stocker pour vendre. Ainsi, disposée même à acheter la production des autres en leur fournissant des aliments et des alevins pour que la chaine piscicole soit encore dynamisée. Mais seulement, nous n’avons pas de soutien à ce niveau. Nous n’avons pas de soutien étatique.
Quid du Minepia ?
Le ministère des Pêches et des industries animales (Minepia) nous a donné 05 cages pour la production, nous l’en remercions grandement. Toutefois nous pensons qu’on peut aller plus loin, nous avons eu aussi le FIDA qui était venu voir comment booster la chaine. Nous nous sommes positionnés sur la chaine de distribution, mais ça fait deux ans que le projet a été validé et on ne sait pas où il en est aujourd’hui. Le problème de la pisciculture, c’est les intrants, c’est la distribution et les habitudes de consommation qu’il faut travailler pour changer.
Une fois que c’est fait, tout ira bien. Je voudrais aussi souligner que quand on parle des intrants, j’ai parlé de l’aliment. Je crois que si une entreprise s’engage à construire une usine de production de d’aliments de poisson, il faudrait que toutes les importations de ces aliments cessent pour lui permettre de vendre. Il y a des aliments qui entrent en contrebande, sans passer par le contrôle, la douane, l’ANOR, ce qui décourage les producteurs. Il y a aussi la pénurie des aliments adoptés. Vous adopté un aliment, après il y a rupture. Quand un poisson commence à s’habituer à un aliment et qu’il y a rupture, c’est des problèmes. Les problèmes de rupture sont dus aux procédures donnant droit à l’importation. Notamment la fameuse ANOR. C’est très difficile. La SGS prend parfois un mois pour contrôler l’aliment avant qu’il ne vienne et du coup, les fournisseurs préfèrent vendre ailleurs.
Une piste à suggérer au Minepia pour rendre plus attractive et plus rentable l’industrie halieutique du Cameroun ?
Que le Minepia se penche sur tout ce que je viens de dire. De manière spécifique, j’ajouterais qu’il faut favoriser les intrants, les rendre plus accessibles, à travers des prix faibles à tous les producteurs, organiser une chaine de distribution, c’est-à-dire les marchés, où l’on pourra facilement trouver ce produit, avoir des possibilités de conserver la production pendant les phases de surproduction. Il y a aussi des phases de sous production et donc, des espaces de conservation permettraient de combler le gap. Mavecam a résolu ce problème, ne serait-ce qu’en partie, pour le Littoral et peut-être après, s’étendre dans le reste du pays si l’expérience du Littoral tient. Nous avons des machines que nous avons apportées et là, il faut dire que ces machines ont été exonérées, c’est à l’avantage du Minepia, nous ne pouvons souhaiter qu’il continue à soutenir l’industrie halieutique et que dans la prochaine loi des finances [2025], qu’on renouvelle les facilités qu’on a jusqu’à présent et que le Minepia s’imprègne davantage pour suivre personnellement les pionniers qui se sont engagés dans ce secteur clé. Quand on regarde, nous ne sommes pas plus de dix et le Minepia les connait.
Propos recueillis par A.O