Une fois de plus, l’existence de la compagnie aérienne nationale du Cameroun, CAMAIR-Co est menacée. Cette fois-ci la turbulence est sérieuse. En effet à ce jour, CAMAIR-Co se retrouve sans outils de production, ses 5 avions en propriété (1 Boeing 767-300, 2 Boeings 737-700 et 2 MA-60) sont tous cloués au sol pour défauts de maintenance et pannes diverses. Par ailleurs la compagnie traîne une dette colossale de plus de 100 milliards FCFA (150 millions d’Euros), un personnel pléthorique de plus de 500 salariés actuellement démoralisé et démobilisé du fait de 4 mois d’arriérés de salaires et le manque de visibilité sur l’avenir de la compagnie. Face à ce risque important de non continuité d’exploitation qui plane sur CAMAIR-Co, le commissaire aux comptes vient de déclencher la procédure d’alerte, mettant ainsi l’Etat du Cameroun en tant qu’actionnaire unique devant ses responsabilités. Dans ce contexte, l’Etat dispose à notre avis de 3 options fondamentales à explorer :
La 1ère option consisterait à recapitaliser la Compagnie pour lui permettre de réparer ses avions cloués au sol, de payer ses dettes fournisseurs bloquantes, de payer les arriérés de salaires, et de se constituer un bon fonds de roulement pour relancer l’exploitation. Mais cette option nécessite le déblocage par l’Etat d’importants moyens financiers, que nous estimons à environ à 200 milliards FCFA pour sauver et relancer la compagnie de manière stable et durable. Or en ces temps difficiles de COVID-19 où l’Etat doit relever le défi sanitaire qui s’impose à lui, et répondre aux sollicitations de tous les secteurs de l’économie nationale et des populations fragilisées, il ne dispose pas de marge de manœuvre financière pour investir massivement dans un secteur qui traverse une grave crise sur le plan mondial et dans une compagnie presqu’à l’arrêt qui n’a jamais véritablement décollée depuis son lancement il y a presque 10 ans. Dans ce contexte, l’Etat se contente de donner des avances de fonds de temps à autres qui ne sont que des perfusions pour garder artificiellement la compagnie en vie et retarder l’échéance.
La 2e option serait de lancer la privatisation de la CAMAIR-Co qui est prévue dans son décret de création ; mais le problème est que « la mariée » est tellement laide qu’elle risque de ne pas trouver de prétendant. En effet, vu la mauvaise situation actuelle de CAMAIR-Co, et avec une industrie sinistrée par le COVID-19, il sera extrêmement difficile pour l’Etat de trouver un partenaire stratégique et financier fiable et crédible intéressé à reprendre CAMAIR-Co sans avoir au préalable fait le ménage.
La 3e option consisterait à restructurer en profondeur la CAMAIR-Co à travers la mise en œuvre du processus de Scission-Liquidation-Privatisation (SLP) de la compagnie. Du réchauffé ! Pourraient s’exclamer certains en pensant à l’ex-CAMAIR, mais la SLP de l’ex-CAMAIR avait malheureusement été interrompue à cause d’un changement de Ministre des Finances ; le succès ou l’échec d’une SLP dépend avant tout de la volonté du gouvernement. C’est une option intéressante dans le contexte actuel de CAMAIR-Co pour les raisons suivantes :
– la Scission de la CAMAIR-Co en 2 entités, celle existante (OldCamair-Co) et une nouvelle à créer (NewCamair-Co), permet de transférer les actifs sains et utiles pour l’exploitation (avions, matériels, personnel) à la NewCamair-Co, tandis que les actifs superflus non nécessaires pour l’exploitation vont demeurer dans OldCamair-Co avec le passif. C’est une opération qui permet de préparer « la mariée » (NewCamair-Co) pour la rendre « belle » et attractive pour la privatisation, et de préparer « les obsèques » de la défunte (OldCamair-Co) ;
– la Liquidation de OldCamair-Co sera inévitable dans ce cadre, étant donné qu’il faudra bien éteindre son énorme passif dans le temps, mais pour ce faire il faudra réaliser les actifs non nécessaires pour l’exploitation de la NewCamair-Co ;
– la Privatisation de NewCamair-Co permettra de mobiliser les financements nécessaires pour les acquisitions d’avions et la constitution d’un fonds de roulement solide, afin de relancer la compagnie. Elle permettra également l’instauration d’une nouvelle gouvernance (sans ingérence de l’Etat) de type privé au sein de la NewCamair-Co. Bien que minoritaire, l’Etat devrait conserver une part importante du capital et se comporter en bon actionnaire et non pas en dirigeant comme c’est le cas actuellement.
En conclusion, le Gouvernement Camerounais devra faire preuve de lucidité, de courage, de vision, de solidarité et de détermination pour décider et mettre rapidement en œuvre la restructuration en profondeur de la CAMAIR-Co et la réorganisation du secteur du transport aérien au Cameroun, car la viabilité à long terme de la compagnie nationale en dépend. C’est l’occasion pour l’Etat d’organiser une « conférence nationale » ou les « états généraux » du transport aérien au Cameroun avec la participation « non exclusive » de tous les acteurs publics et privés du secteur, afin de tirer les leçons des échecs passés et d’éviter que les mêmes causes ne produisent les mêmes effets. L’industrie du transport aérien est trop importante pour l’économie et l’intégration nationale pour s’arrêter sur des échecs sans réagir.
Le 02 juillet 2020
Emile C. BEKOLO, Expert-Comptable