Par Cyrille Djami, Consultant en communication stratégique et fondateur de CommsOfAfrica
L’essor des intelligences artificielles génératives, telles que ChatGPT, MidJourney ou Bard, redéfinit les pratiques journalistiques à l’échelle mondiale. Pour les journalistes africains, ces outils ne représentent pas seulement une opportunité, mais une urgence, face aux défis structurels que rencontrent souvent les rédactions du continent : ressources limitées, contraintes de temps, et besoins croissants de contenu pertinent et engageant.
Des outils aux possibilités multiples
À travers le monde, des exemples concrets démontrent le potentiel de ces technologies. Newsweek (un hebdomadaire d’information américain) par exemple, a intégré une IA capable de transformer des articles en vidéos en sélectionnant automatiquement des images et en assemblant un produit multimédia attractif. De leur côté, des acteurs comme la BBC et la chaîne allemande RBB utilisent l’IA pour personnaliser leurs informations, qu’il s’agisse de bulletins météo « hyperlocaux » ou de rapports spécifiques sur des thématiques locales. Ces innovations permettent aux rédactions de répondre efficacement aux besoins d’audiences variées avec des équipes restreintes.
Sur le continent, où les médias cherchent à toucher des publics souvent marginalisés, ces technologies peuvent faire la différence. Par exemple, l’utilisation d’IA pour transformer des enquêtes journalistiques en contenu audio ou visuel permet de surmonter les barrières liées à l’alphabétisation. Cela amplifie l’impact des reportages et élargit leur portée.
Cependant, une adoption réussie de ces outils nécessite une sensibilisation accrue et des formations spécifiques pour les journalistes africains. Si l’IA ouvre des perspectives prometteuses, elle ne peut remplir son potentiel que si elle est utilisée comme un levier pour renforcer la créativité et la pertinence des contenus, et non comme un substitut à la compétence humaine.
Des assistants, pas des remplaçants
Les intelligences artificielles génératives doivent être perçues comme des outils d’assistance, déléguant des tâches répétitives pour libérer du temps aux journalistes. Le Washington Post, par exemple, utilise l’IA Heliograf pour rédiger automatiquement des articles factuels sur des événements récurrents. Mais chaque production est systématiquement supervisée par des professionnels, garantissant qualité et contextualisation.
À l’inverse, des initiatives mal encadrées, comme celle de CNET, montrent les dangers d’une dépendance excessive aux IA. En publiant des articles contenant des erreurs graves sans supervision suffisante, le média a vu sa crédibilité entachée. Ces exemples soulignent un principe clé : si l’IA peut générer des contenus rapidement, elle reste tributaire de l’expertise humaine pour en assurer la pertinence et l’exactitude.
En Afrique, où les réalités locales sont souvent peu représentées dans les bases de données globales, le rôle du journaliste est encore plus crucial. Les IA pourraient interpréter de manière erronée des informations culturelles, sociales ou politiques spécifiques à un pays, si elles ne sont pas corrigées ou enrichies par des experts sur le terrain. De plus, pour garantir la transparence, les médias africains pourraient s’inspirer de rédactions internationales, comme le Guardian, qui précisent systématiquement si un contenu a été produit ou co-produit par une IA.
Préserver l’indépendance journalistique
À mesure que les IA génératives se généralisent, une question clé émerge : comment les journalistes peuvent-ils préserver leur indépendance intellectuelle et leur authenticité tout en adoptant ces outils ? L’utilisation croissante de ces technologies soulève des risques de standardisation des contenus et de dilution des compétences humaines. Si les journalistes s’en remettent trop aux algorithmes, les récits pourraient perdre en originalité, au profit de narrations aseptisées.
La solution réside dans une réaffirmation du rôle central de l’humain dans la production d’information. Chaque contenu généré par une IA doit être minutieusement analysé et, si nécessaire, contextualisé pour refléter les nuances propres à chaque sujet. Par exemple, un reportage sur des manifestations au Kenya ou une crise énergétique en Afrique du Sud ne peut être pleinement capturé que par des journalistes présents sur le terrain, capables de retranscrire les sensibilités locales et les dynamiques sociales complexes.
Les rédactions doivent également investir dans des formations adaptées pour leurs équipes. Comprendre les limites et les biais des IA est indispensable pour garantir une utilisation éthique et efficace. Des initiatives comme celles de Reuters, qui forme ses journalistes à détecter les biais dans les contenus générés, montrent la voie à suivre.
Une alliance entre technologie et humanité
L’avenir du journalisme africain réside dans un équilibre subtil entre technologie et humanité. Les IA génératives ne doivent pas être perçues comme des menaces, mais comme des alliées pour un journalisme plus audacieux et engagé. Elles offrent une opportunité unique d’améliorer l’efficacité et de diversifier les publics, tout en libérant du temps pour des enquêtes approfondies.
Cependant, cette révolution technologique ne doit jamais compromettre l’intégrité ou l’indépendance intellectuelle des journalistes. Ces derniers restent les architectes de l’information, garants de sa pertinence, de sa véracité et de son éthique. En exploitant ces outils avec discernement et vigilance, les professionnels de l’information peuvent porter leur métier à de nouveaux sommets, tout en préservant l’authenticité qui fait la force du journalisme.
Le défi à venir sera de maîtriser ces technologies tout en veillant à ce qu’elles servent la créativité et l’engagement, plutôt que de les standardiser ou de les décontextualiser. Dans un monde où la technologie évolue rapidement, les journalistes africains doivent être les gardiens d’une information riche, nuancée et enracinée dans les réalités locales.