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Conflit irano-israélien : une énième expression de la contestation d’un ordre suffisant  

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Par Fabrice ONANA NTSA / PhD

Pendant que la communauté internationale s’égosille encore à trouver une issue au conflit russo-ukrainien, voilà qu’un autre front, délicat et non moins violent s’est activé depuis peu dans le Moyen Orient. Depuis le 13 juin 2025 en effet, le ton est monté entre l’Iran et Israël, les muscles sont sortis de part et d’autre avec déjà à la clé d’importants dégâts du fait de l’opération Promesse Honnête 3 de Téhéran en réponse à celle du lion dressé de Tel Aviv. Ce conflit irano-israélien dont les racines sont à trouver dans l’histoire, non seulement confirme l’incandescence du Proche et du Moyen Orient, mais surtout traduit la contestation et la résistance à un Occident impérialiste. L’opposition entre l’Iran et Israël mérite d’être lue comme une confrontation idéologique au cœur de la recomposition actuelle des Relations Internationales. C’est l’intérêt de cette modeste réflexion qui se propose d’explorer le conflit israélo-iranien sous le prisme du rejet du projet de l’occidentalisation du monde.

  1. L’animosité irano-israélienne : l’esquisse des fondements

Depuis quelques jours, la guerre entre l’Iran et Israël s’impose comme le fait majeur qui alimente la météo des relations Internationales. Elle a réussi à ravir la vedette au G7 à Alberta au Canada, à la première édition du Global South Economic Forum à Abou Dhabi aux Emirats arabes unis ou encore à la toute première coupe du monde des Clubs de football aux États-Unis. Pourtant, il faut le souligner tout de suite, il s’agit d’un autre épisode du désamour irano-israélien qui date et dont les fondements principaux sont connus.

  1. La guerre froide israélo-iranienne aux relents antisémites et néocoloniaux

La création de l’Etat d’Israël en 1948 n’a pas été digérée dans le proche et le Moyen Orient. Les liens étroits de l’Etat juif avec les Etats-Unis d’Amérique ont accru l’hostilité de nombreux Etats de la région à son égard. C’est peut-être de là qu’il faut partir pour tenter de cerner la rivalité entre Israël et l’Iran. Avant 1979 durant la dynastie Pahlavi, les relations entre les deux Etats étaient pourtant amicales et cordiales. C’est avec la révolution islamique et l’arrivée au pouvoir des Ayatollahs que la situation change. La révolution de Ruhollah Khomenei renverse le Shah et établit une République Islamique dont l’antipathie envers Israël devient rapidement la pierre angulaire de sa politique extérieure. Les positions sont tranchées et connues de part et d’autre : si l’Iran considère Israël comme le protégé à la solde des Etats-Unis au Moyen Orient, l’Etat juif pointe clairement du doigt l’hostilité des hommes forts de Téhéran et leur objectif déclaré d’anéantir Israël.

Pendant les deux premières décennies, la rivalité se fait par procuration. L’Iran sait pouvoir compter sur le Hezbollah, le Hamas, les Houthis ou encore sur le Front populaire de Libération de la Palestine. De son côté, Israël s’adjuge le soutien de l’armée syrienne libre, de l’OMPI (Organisation des Moudjahidines du Peuple Iranien), du CNRI (Conseil National de la Résistance Iranienne) ou encore du PDKI (Parti Démocrate du Kurdistan d’Iran). Bien qu’on n’ait pas enregistré une confrontation directe entre les deux Etats, on s’aperçoit bien de l’existence d’un antagonisme teinté d’antisémitisme et de néocolonialisme dès 1979 qui sera entretenu par des actions çà et là, menées par des organisations par procuration.

  • Le soutien iranien au Hezbollah et au Hamas

Les tensions entre Tel-Aviv et Téhéran s’expliquent aussi par le soutien iranien au Hezbollah et au Hamas. Parti politique et groupe paramilitaire islamiste chiite libanais fondé en 1982 après l’intervention israélienne au Liban, le Hezbollah est un farouche ennemi d’Israël. Dans sa charte, il présente clairement ses deux objectifs à savoir résister à l’occupation israélienne au Liban et établir un Etat islamique. Une hostilité que partage le Hamas, mouvement islamiste et nationaliste palestinien fondé en 1987 après la première Intifada. En substance, le Hezbollah et le Hamas ont en commun l’antisionisme, l’antiaméricanisme, l’islamisme et l’antiimpérialisme entre autres. Leur étroite proximité à l’Iran a davantage alimenté l’inimitié entre l’Etat juif et la République Islamique.

  • Le programme nucléaire iranien

C’est la principale pomme de discorde qui a finalement ouvert la voie à un affrontement direct entre l’Iran et Israël en avril 2024 après le bombardement israélien du consulat iranien à Damas. Alors que la signature et la ratification du traité de non-prolifération nucléaire de 1970 par le pouvoir des Shahs présageait d’un avenir radieux dans une entente cordiale avec Washington, la naissance de la République Islamique a assombri tous les voyants verts jusque-là. Les puissances occidentales maintiendront la pression sur le projet nucléaire iranien. Le 11 avril 2006, Mahmoud Ahmadinejad, président iranien, annonce officiellement que l’Iran rejoint le groupe des pays qui ont la technologie nucléaire. La réaction des occidentaux ne se fit pas entendre. Le lendemain, Condollezza Rice, Secrétaire d’Etat américaine suggère au conseil de sécurité de prendre des mesures fortes afin de pousser Téhéran à renoncer à son ambition nucléaire. On se souvient alors de la réponse du Président iranien en ces termes ‘’nous ne discuterons avec personne à propos du droit de la nation iranienne à enrichir l’uranium’’. En clair, si le pouvoir de Téhéran considère son programme nucléaire comme un moyen de moderniser et de diversifier ses sources d’énergie, les gouvernements occidentaux pensent que cette ambition nucléaire cache des desseins militaires. Ce que craint Israël, puissance nucléaire pourtant. De toutes évidences, la détention de l’arme atomique est un curseur essentiel dans la catégorisation des puissances. Il est hors de question pour l’Occident prétentieux de la laisser entre les mains de n’importe qui.   

  1. Un épisode de la résistance à un modèle occidental contesté

Si la multipolarité semble être validée aujourd’hui par les prédictions des oracles, la diversité des pôles de pouvoir ou encore par les processus d’émancipation des peuples à travers le monde, on peut être tenté de dire avec Sophie Bessis, dans une logique manichéenne, qu’il y’a bien l’Occident et les autres. Aux questions de Taiwan et de l’Ukraine qui sont les récents terrains du bras de fer dans ce sens, officiellement désormais, celle iranienne s’est amplifiée.

  1. La Guerre préventive et la schématisation des alliances 

L’opération Lion dressé lancée le 13 juin dernier par Israël contre l’Iran s’inscrit dans le cadre de ce qu’il y’a lieu d’appeler une guerre préventive. Une guerre préventive est un conflit armé lancé par un Etat contre un autre non pas en réponse à une attaque immédiate, mais dans le but d’empêcher une attaque future jugée imminente ou probable.  De ce point de vue, ce type de guerre certes est une anticipation face à un danger éventuel mais traduit aussi un esprit de supériorité dont ne veut visiblement pas se départir l’Occident. Par ailleurs, l’expression des soutiens, la teneur des discours et la configuration des alliances renseignent à suffire sur une opposition à la volonté d’occidentaliser le monde. Washington et ses alliés d’un côté, les autres de l’autre.

  • Le tandem Israélo-américain dans le costume du Prométhée du peuple iranien

Les attaques israélo-américaines se justifient aussi par la volonté de ce duo de voler au secours d’un peuple iranien pris en otage par le pouvoir dictatorial de Téhéran.  En accord avec le mythe de la destinée manifeste, les Etats-Unis et leur principal allié dans la région se donne prétentieusement pour mission de délivrer le peuple et d’apporter la démocratie et la liberté en Iran. Ali Khamenei est un dictateur, une menace aussi bien pour Israël que pour le peuple iranien lui-même. D’ailleurs, certains médias occidentaux ont déjà commencé à épiloguer sur un possible retour des Pahlavi au pouvoir. Sauf qu’en face, on a un régime qui ne compte pas se faire défaire facilement. Ses capacités militaires, ses alliances, ses ressources naturelles (notamment le gaz) et sa position géostratégique pourraient bien être des données essentielles dans la suite des hostilités. 

  • L’équilibre de la terreur, l’inadmissible pour le Nord

Dans les relations internationales, il y’a bien une vérité qui s’impose : la puissance ne respecte que la puissance. Elle est le nœud gordien des relations internationales. L’acquisition de l’arme atomique par l’Iran rebattrait des cartes dans la région etréduirait l’influence américaine ici. En clair, la scène politique internationale est duale avec les puissants d’un côté et les impuissants de l’autre. Ces derniers sont soumis et doivent le rester pour ne pas éroder les marges de manœuvre des premiers. Par ailleurs, certains Etats ont fait de la violence un instrument capital de leur participation à la vie internationale, une source d’affirmation, une marque exclusive de leur identité. Pour ceux-là, il est inadmissible de voir s’équilibrer les rapports de forces dans certains domaines.  En ce qui concerne Israël justement, il faut dire que, contrairement à l’Iran, c’est Israël qui détient l’arme nucléaire, c’est elle qui ne reconnait pas le traité de non-prolifération du nucléaire, c’est encore elle qui est constamment en conflit avec ses voisins que sont le Liban, la Syrie, Gaza entre autres. Prenons aussi en compte le fait que l’Iran est le deuxième réservoir de gaz au monde, c’est un acteur actif des BRICS, membre du Sud Global et un point crucial des routes de la soie, elle est aussi un acteur important de la dédollarisation. De ce qui précède, on est tenté de dire que l’Etat juif est le bras armé des Etats-Unis pour entretenir l’influence occidentale, maintenir la vulnérabilité de l’Asie occidentale et pour bloquer l’émergence d’un monde multipolaire.

  • Un véritable test grandeur nature de la fiabilité d’un Sud Global politique ?

L’unipolarité héritée de la chute du mur de Berlin et de la dislocation de l’URSS est remise en cause depuis peu par l’érection de nombreux pôles de pouvoir dont le plus important, dans le tiers-monde aujourd’hui, est le Sud Global. En fait, le groupe des BRICS s’est mué en un puissant bloc géopolitique qui ne laisse pas le Nord indifférent. A l’origine composé du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine puis rejoint par l’Afrique du Sud, le groupe a accueilli de nouveaux membres par la suite : l’Arabie Saoudite, l’Egypte, les Emirats arabes unis, l’Ethiopie, l’Indonésie et l’Iran. Le terme désigne la recomposition et la restructuration du Tiers-monde. Il s’agit d’un nouvel acteur de la géopolitique mondiale constitué d’une variété de pays. Le Sud Global se présente donc comme l’épouvantail d’une coalition anti-occidentale, symbole d’une contestation, d’une revendication croissante destinée à entendre la voix alternative pour un ordre international moins unidirectionnel et multipolaire. Si le récent épisode de la guerre commerciale sino-américaine a renseigné favorablement et suffisamment sur les capacités économiques du Sud Global. Le conflit irano-israélien donne l’occasion de l’apprécier dans le domaine politico-diplomatique.   

En définitive, disons que la question du nucléaire iranien qui polarise les attentions depuis presque deux décennies pour des raisons sécuritaires et géostratégiques, s’inscrit dans le cadre de la contestation de l’ordre occidental mené par les Etats-Unis d’Amérique. La discrète montée en puissance du Sud Global donne des sueurs froides en face et tous les moyens sont bons là-bas pour entretenir l’illusion de la toute-puissance. Dans le souci de préserver la paix dans une région volcanique où l’Inde, le Pakistan et Israël détiennent déjà l’arme nucléaire, l’option de la négociation n’aurait jamais due être abandonnée car on sait lorsque débute une guerre mais on ne sait pas trop lorsqu’elle s’arrête.                

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