La Chambre des comptes a audité pour les exercices 2017 à 2021, la société d’économie mixte ALUCAM S.A., dont l’activité historique est la fonderie, c’est-à-dire la production d’aluminium primaire. A cette activité s’est ajoutée une autre, le laminage (production de bobines, tôles et disques) suite à la fusion par voie d’absorption avec la société SOCATRAL en 2020. Depuis le retrait de l’actionnaire majoritaire Rio Tinto Alcan en 2015, les capitaux d’ALUCAM sont détenus majoritairement par l’Etat, à hauteur de 79,68 % en 2021. Economie du Cameroun vous livre la synthèse dudit rapport disponible depuis le 10 avril 2025.
1 – Une situation financière très dégradée
La situation financière d’ALUCAM s’est fortement détériorée entre 2017 et 2021. Alors que son chiffre d’affaires a diminué de 25,5%, notamment de 123,4 milliards FCFA en 2017 à 91,9 milliards FCFA en 2021, avec un creux enregistré à 77,8 milliards FCFA en 2019, son résultat net a été déficitaire à hauteur de 45,667 milliards FCFA sur l’ensemble de la période, avec 3 exercices (2018, 2019 et 2020) fortement déficitaires, et un retour à l’équilibre en 2021 après la fusion avec la SOCATRAL.
La société a des capitaux propres négatifs depuis 2019. Si le plan de restructuration élaboré en octobre 2019 sous la houlette du MINMIDT, le ministère de tutelle, soulignait l’impérieuse nécessité d’une recapitalisation, chiffrée à 43 milliards FCFA, pour autant rien n’avait été entrepris en ce sens au 31 décembre 2021. En conséquence, le fonds de roulement de la société est devenu de plus en plus fortement négatif, à hauteur de – 48,9 milliards FCFA fin 2021 : dans cette situation anormale, les fournisseurs ne sont plus payés dans des délais normaux.
La situation est particulièrement difficile envers ENEO, le principal fournisseur et principal créancier de la société. Deux accords de subrogation des dettes d’ALUCAM envers cette entreprise ont été signés pour un total de 47,7 milliards FCFA, soit 33,7 milliards FCFA pour la première et 14 milliards FCFA pour la seconde, en vue de financer partiellement de la dette due à ENEO.
2 – Une fiabilité des comptes incertaine
La Chambre a identifié un certain nombre d’anomalies substantielles dans les comptes d’ALUCAM. Elle a notamment relevé des discordances entre des soldes de clôture de la balance en année n et les soldes d’entrée de la balance en année n+1, des anomalies dans le sens des comptes de certains soldes en balance de clôture et dans le traitement comptable des provisions ou l’absence de régularisation de certaines opérations dans le cadre du rapprochement bancaire.
Par ailleurs, ALUCAM ne respecte pas les dispositions de la réglementation OHADA relatives à la consolidation des comptes et à l’inventaire des immobilisations. Les comptes de la société ont pourtant été certifiés sans réserve par deux commissaires aux comptes, le cabinet Pricewater house Coopers et la SEACA (cabinet EKOKA) dont les premiers mandats datent de 2004. La Chambre souligne la durée excessive de ces mandats.
3 – Une activité historique de fonderie en péril en raison de la mise hors service de 40% des cuves d’électrolyse
La production d’aluminium primaire, essentiellement destinée à l’exportation, a connu une diminution continue pendant la période, de 73 759 tonnes en 2017 à 34 431 tonnes en 2021, soit une baisse de 53,3%. Cette situation est la conséquence d’un accident sur le réseau électrique alimentant la société, survenu le 10 janvier 2018, qui a provoqué un incendie dans la sous-station électrique et un arrêt de la fourniture d’énergie, en endommageant près de 40% des cuves d’électrolyse. Le préjudice a été évalué par les experts à 16,9 milliards FCFA, sans tenir compte des pertes de chiffres d’affaires consécutives à cet évènement. En 2023, le litige opposant ALUCAM et son fournisseur d’énergie ENEO sur la recherche de responsabilité n’a toujours pas été tranché, tandis que la société, sous-capitalisée, ne dispose pas de ressources d’investissement pour remettre à niveau sa capacité de production.
La baisse continue de la production ne s’est pas accompagnée d’une baisse proportionnelle des coûts fixes, si bien que la contribution de l’activité « fonderie » au résultat de la société, qui était positive en 2017 à + 6,3 milliards FCFA, est devenue de plus en plus négative, passant de – 11,1 milliards FCFA en 2018 à -37,8 milliards FCFA en 2021. Cette activité est donc au cœur de la dégradation des comptes de la société.
4 – Une activité de laminage qui représentait plus de 50% du chiffre d’affaires en 2021
La production de produits laminés est une activité nouvelle qui résulte de la fusion intervenue en 2020 avec la SOCATRAL. Elle représentait 51,2% du chiffre d’affaires de la société dès 2021, avec une contribution positive au résultat de l’exercice de +14,3 milliards FCFA.
5 – En l’absence de recapitalisation, des interrogations sur la pérennité d’une activité de fonderie fortement consommatrice d’énergie
En 2023, la question de la restructuration de la société reste toujours d’actualité.
5.1. – Un plan de restructuration faiblement exécuté
Le plan d’octobre 2019 prévoyait notamment une recapitalisation à hauteur de 43 milliards FCFA, la fusion ALUCAM-SOCATRAL, la cession d’actifs non stratégiques, la modernisation de la sous-station électrique afin de générer une augmentation d’intensité qui accroitrait la production de 8 000 tonnes, puis de 13000 tonnes par an, pour la porter à terme à 120 000 tonnes par an, et la mise en œuvre d’un projet de production de fils pour câbles électriques de haute tension.
A plus long terme, le plan prévoyait une extension de la capacité de production de la fonderie, portée à 360 000 tonnes par an. La Chambre s’interroge toutefois sur le réalisme d’un tel objectif, qui supposerait de mobiliser une part significative de la production électrique nationale au détriment de la couverture des besoins de la population.
Une seule mesure de ce plan a été exécutée, la fusion ALUCAM-SOCATRAL, qui a permis de revenir à un résultat légèrement positif en 2021. Il y’a lieu de noter qu’en 2022, un apport en compte courant de l’Etat à hauteur de 14 milliards FCFA a été réalisé pour permettre l’apurement partiel de la dette vis-à-vis d’ENEO ; mais la pérennité de l’activité historique de fonderie, lourdement déficitaire, reste problématique.
5.2. – Un impératif : recapitaliser ALUCAM
La Chambre observe qu’en l’absence de recapitalisation de la société, l’hypothèse qui risque de s’imposer sera l’abandon de l’activité de fonderie. Pour espérer revenir à l’équilibre, ALUCAM doit en effet impérativement investir dans la remise à niveau de son outil de production endommagé pour certains et obsolète pour d’autres, ainsi que dans la modernisation de sa sous-station électrique, d’où la nécessité d’une recapitalisation. En l’absence d’une recapitalisation, ALUCAM court le risque de voir son activité fonderie continuer à entrainer des pertes.
Sauf à ce que l’activité de laminage monte en puissance et compense les pertes de l’activité fonderie, la société risque à terme de se retrouver en cessation de paiement, c’est-à-dire dans l’incapacité de payer ses fournisseurs qui subissent déjà de très longs délais de paiement, voire dans l’incapacité de payer les salariés. Au-delà même de cette perspective, une question mérite d’être posée : l’intérêt du pays commande-t-il de mobiliser 13 % de la production électrique pour exporter de l’aluminium à perte, alors que les besoins en électricité de la population et du reste de l’économie, ne sont pas intégralement couverts ? La réponse que donnera le gouvernement à cette question devra le guider dans les choix stratégiques sur l’avenir d’ALUCAM, sachant que la seule hypothèse réaliste est la recapitalisation, ce qui entrainerait des conséquences positives sur l’activité fonderie et par extension, sur l’activité laminage compte tenu de la complémentarité de ces deux activités.
Recommandations
- Recommandation au Gouvernement
Recommandation n° 01 : Envisager rapidement une recapitalisation d’ALUCAM, de l’ordre de 43 milliards FCFA, afin de lui permettre de remettre à niveau son outil de production de fonderie, et de revenir à une production annuelle d’aluminium primaire de l’ordre de 110 000 à 120 000 tonnes. A défaut de la recapitalisation par l’Etat ou de la cession d’une partie du capital social à un investisseur privé, et en l’absence d’alternative à l’accumulation des pertes, étudier la solution d’un arrêt de l’activité fonderie.
- Recommandations au Directeur général
Recommandation n° 02 : Saisir la juridiction compétente d’une demande d’indemnisation pour les dommages consécutifs à l’incendie de la sous-station électrique du 10 janvier 2018 ;
Recommandation n° 03 : Engager la cession des actifs non stratégiques de la société conformément au plan de restructuration (actifs fonciers à Douala et à Edéa, participations dans les sociétés de services d’Edéa)
Recommandation n° 04 : A l’expiration des mandats en cours des commissaires aux comptes, proposer à l’Assemblée Générale de changer les titulaires actuels de ces fonctions ;
Recommandation n° 05 : Redynamiser l’activité fonderie à travers la maitrise des coûts de production et l’amélioration de la politique commerciale.
Source: Chambre des comptes de la cour suprême